
Ou… défaut de naissance…

Il y avait peut-être trop de blanc ou trop de bruits.
Trop de glacé ou trop d’amour.
Trop de douleurs à respirer.
Alors je suis restée en attente, sur le quai de la gare.
Attendre quoi?
Attendre qui?
Je ne le savais pas.
Pourtant, c’est comme cela que j’ai raté mon train.
Je l’ai regardé partir sans moi.
Puis s’éloigner de plus en plus.
Je suis restée debout, là, sans plus bouger.
Seule dans ma nuit.
Sans même seulement oser regarder.
Jusqu’à fermer les yeux.
Oui, j’avais peur.
Très peur.
Je n’osais plus retourner d’où je venais.
Mais je n’osais pas partir non plus.
Trop de blanc ou trop de bruits.
Trop de glacé ou trop d’amour.
Trop de douleurs à respirer.
J’avais à la main le blanc mouchoir des adieux.
Celui que l’on agite sans pouvoir sécher les larmes de nos sanglots.
J’ai attendu le prochain train.
Je l’ai compris trop tard, il n’y a qu’un train.
Un seul.
Quand on le rate, c’est toute une vie de foutue!
Je suis restée sur le quai de la gare.
Depuis presque soixante ans, j’attends.
Des milliers de trains partent chaque matin.
Mais ce n’est plus jamais le mien.
J’ai raté ma naissance comme on rate un départ.
Debout au bord du quai, je me demande comment le rattraper?
On ne rattrape plus un train manqué.
Surtout celui de sa naissance.
On reste planté là, à observer.
On ne bouge pas.
On n’ose à peine respirer.
D’ailleurs, quand on respire, c’est toujours en soupirs.
L’air nous manque.
La vie aussi.
On a des regrets.
On a des relents d’une histoire meilleure.
Ou même, seulement différente.
Enfin, d’une histoire!
Là, on n’est jamais né.
On est le fantôme d’un fantôme qui n’a pas raté son train.
On se sent tellement coupable.
On se sent tellement méchant.
Comme un enfant jeté au fond d’un placard.
Comme un chiffon que l’on a oublié sur un banc.
Que plus jamais personne ne reviendra chercher.
Qu’on a oublié.
Pas regretté.
On ne vit pas.
Puisqu’on l’a raté, ce départ pour la vie.
Tous ceux qui vous regardent, ou même, qui vous aiment, n’ont rien compris à qui vous êtes.
Ils vous invitent à ce grand bal où ils vont tous, parce qu’ils dansent, eux.
Ce qu’ils ne savent pas, c’est que je suis encore sur le quai de cette gare déserte, figée, à attendre.
Ils valsent, ils tanguent argentin, ils samba brésilienne, c’est la vie qui danse en eux!
Et moi, rien ne danse, en moi.
Juste ce néant, ce silence, ce vide, cette terrible impression de n’être pas comme eux.
Pas vraiment morte…
Et pourtant, jamais vivante non plus.

Ils savent vivre sans qu’on leur ait appris!

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