DUALISME

C’est quand il sortit du ventre de sa mère qu’il réalisa que ce combat pour vivre ne serait pas le sien.

Il poussa un grand cri, tel le hurlement de douleur d’un soldat touché par balles, un cri sans surprise, un pleur de peur, mais cependant, sans aucun appel pour la vie.

Ses poumons, qui s’étaient emplis d’air, de feu, et de souffrances, le convainquirent plus encore de regretter sa vie utérine perdue.

Le froid glacial, qui l’avait recouvert de son souffle cruel, lui semblait hostile, ainsi que la lumière aveuglante d’un dehors inconnu et étranger.

Nu et vulnérable, il regrettait amèrement son cocon maternel doux et tiède.

Même quand il reconnut l’odeur de sa mère, pourtant, il refusa obstinément le sein qu’elle lui présentait, mû par un profond dégout d’elle.

A présent, tous les médecins du service de la maternité défilaient devant ce bébé, qui malgré son apparente bonne santé, refusait de manger.

Certains conclurent à une tare psychiatrique, d’autres mirent en cause une anorexie déclenchée par une angoisse trop forte, mais tous, traitements inefficaces après traitements inefficaces, s’inquiétaient beaucoup.

« Allons, allons, mon garçon, il faut te nourrir sinon tu vas mourir! »

Mais le temps qui passait n’y changeait rien, le nourrisson refusait de s’alimenter.

Les médecins prirent donc la décision, en dernier recours, de lui introduire une sonde gastrique qui devait parer à son inappétence.

Pourtant, rien n’y faisait.

Jour après jour, il dépérissait.

Sa maman, qui n’y comprenait rien, se demandait ce qu’elle avait bien pu faire pour mériter cela.

Son enfant, à peine né, était incapable de l’aimer, ni même de discerner tout l’amour qu’elle avait pour lui.

Lui, ne souhaitait qu’échapper à cette situation qui, d’inconfortable, devenait de plus en plus insupportable.

Sans qu’il en eut vraiment conscience, il s’arrêta de respirer, et son cœur se figea dans cette mort qu’il désirait tant, juste pour échapper au piège de cette vie qu’on lui imposait, et dont, pour rien au monde, il n’accepterait d’en devenir l’otage.

Il partit, un sourire satisfait dessiné sur son visage devenu presque transparent.

Libéré, soulagé, si léger du bonheur de ce départ prématuré.

Enfin apaisé.

Il avait presque cent ans et espérait bien vivre encore longtemps.

Assis dans son fauteuil qu’il ne quittait plus, les mains tremblantes, le regard fatigué, pourtant presque déjà éteint, il ne voulait pas mourir.

« Je serai bien plus tenace que toutes ces menaces de mort, si bien que jamais elle ne m’aura, la mort, non, jamais, ou bien alors, seulement dans une éternité. »

Ses enfants, ses petits-enfants, et puis ses arrière-petits-enfants, venaient lui rendre visite.

Ils repartaient à l’heure du repas, quand les infirmières lui amenaient la soupe, le potage ou la purée.

« Que m’importe d’être vieux, la seule chose importante, c’est d’être encore vivant! »

Ce fut cette nuit, pourtant, alors qu’il était couché, qu’il sentit une forte douleur dans sa poitrine, qu’il tira la cordelette de la sonnette d’alarme et, comme personne ne vint, malgré tous ses efforts pour respirer encore, pour ne surtout pas se résoudre à mourir, il finit tout de même par s’éteindre, vaincu.

Dans le duel entre la vie et la mort, c’est toujours la mort qui gagne!

Bébés ou vieillards, jeunes ou usés, elle nous emporte tous.

Selon notre volonté, ou contre.

C’est elle qui vaincra, quelle que soit l’heure de sa victoire.

Et c’est la vie, fragile et éphémère, qui, jusqu’à preuve du contraire, est toujours la grande perdante.

On perd la vie, jamais la mort…

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