LE VOL ROUGE DU COURAGE

Je m’étais recroquevillée, la tête entre mes bras, seulement pour me protéger.

Je pleurais sans plus pouvoir contrôler mes sanglots.

Les soldats qui m’avaient emmenée jusqu’au wagon m’avaient brutalement jetée dans le train.

Destination: la mort, les camps.

Rentrera ne sait quand, si rentrera seulement.

Autour de moi, hagards, n’erraient que des regards perdus, éteints de toute lumière humaine.

« Le regard de presque cadavres »: pensais-je.

Où j’allais, n’en reviendrai jamais, pour sûr.

Le désespoir me submergea tant qu’il ne me sembla plus possible d’en être apaisée jusqu’à cette mort certaine.

Je suffoquais, secouée par mes pleurs et par l’odeur insupportable de transpiration, d’excréments et d’urine, qui me soulevait le cœur.

Du sang coulait de mes blessures, je tremblais.

Pourtant, personne ne semblait le remarquer.

Le train, à présent, était parti.

Dans l’obscurité, seule une planche arrachée à l’une des fenêtres condamnées, laissait passer un dernier rayon de jour, ce sombre jour qui tombait pour nous emmener au plus noir du désespoir.

C’est là que je la remarquais.

Minuscule tache rouge écarlate qui marchait tranquillement sur un brin de la paille qui recouvrait le sol maculé d’immondices.

Elle allait sans se soucier ni des gémissements ni des plaintes que chacun laissait échapper.

Je me rapprochais d’elle pour la faire monter sur mon doigt, puis sur ma main.

Petite coccinelle toute à ses affaires.

Elle me rappelait mon enfance, le pur bonheur d’en trouver une, de la regarder tourner, virevolter,  puis reprendre son envol en battant des ailes, fragile et légère.

Nous lui faisions nos adieux en riant de joie.

Cette petite particule du souvenir de la paix qu’emplissait ma jeunesse insouciante fit naître en mon âme l’espérance, comme une lumière dissipe les ténèbres tout emplis des cauchemars d’une mauvaise nuit.

Je passais ma main dans l’ouverture et la laissais s’envoler.

Alors moi aussi me mis à voler, libre et confiante, laissant dans mon sillon l’oppression de la guerre, ses viols, ses peurs, et tout son désespoir.

J’ai survécu trois années dans les camps de la mort.

Jusqu’à ma libération, quand la guerre, enfin, fut finie.

Chaque jour me portait ce souvenir: l’envol de la petite coccinelle, qui s’était posée là, juste pour mon réconfort.

Il m’arriva encore d’en revoir quelques unes, quand, à bout de force, le courage venait à me manquer.

Elles suffisaient à me redonner un peu d’espoir.

Quelques gouttes de vie, pour continuer de survivre en cet enfer.

Le temps a passé.

Aujourd’hui que je suis âgée, de ce temps éloigné, n’en restent que de lointains souvenirs.

Mais s’il m’arrive certains jours, comme tout à chacun, d’avoir mauvais moral, mes prières à Dieu lui demandent de me faire rencontrer petite coccinelle.

Qu’il m’envoie toujours consoler mes chagrins.

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