
Dans mon village, tout à l’ouest de la France, mon boulanger est bien connu.
Depuis trente ans qu’il s’essaie à confectionner le pain parfait.
Il se lève en pleine nuit chaque jour, et dans son pétrin, oh oui, il en est sûr et certain, il va enfin réussir à le cuir, le pain parfait.
La pâte est levée, la croute croustille, mais jamais le boulanger n’est satisfait.
Et pourtant, en ce matin, il a bondi sur le parvis de sa boulangerie, il saute partout comme un fou, lance sa toque qui tournoie de joie dans le ciel à peine éclairé, voila que je l’entends qui crie: « J’ai réussi! Oui, enfin, j’ai réussi! Qu’il est beau, qu’il est rond, sentant bon et tout doré, tout bien grigné à l’incisette. Il est né, oui, en ce jour, il est né, le pain parfait! »
Tout le village accourt, réuni pour applaudir le pain si bien fait qu’il est enfin parfait.
Sur la route, un peu plus bas, passe un garçon, tout en haillons, la mine triste, le regard bas.
Sa silhouette si fluette en dit long sur son histoire.
Il est sale, parait perdu.
Sans abris et sans couvert.
Sans parent ni sans famille.
Le boulanger, tout à son succès, s’enflamme et jubile.
Il l’exposera, son pain parfait, pour que du monde entier, on vienne le contempler.
Si fier il est qu’il n’a pas même remarqué le garçonnet, maigre et misérable.
Jusqu’au moment où son regard se pose sur le dos accablé de l’enfant, qui déjà, est passé.
De sa grosse voix, il lui crie: « Oh! Oh! Oh! Où vas tu, toi, le jeune? Qui es tu? »
L’enfant se retourne, comme pris en faute. On pourrait croire qu’il va pleurer.
Alors d’une voix faite plus douce, pour ne pas l’apeurer, il l’appelle: « Viens, ma femme te fera entrer et te donnera un verre de lait. »
Le regard du petit se met à briller, il entre et boit son lait, sans quitter du regard la grosse miche exposée du pain si parfait.
Le boulanger est un brave homme.
Comme tous ses pains ont été déjà vendus, il saisit sans hésiter le gros pain tant parfait, en coupe une énorme tranche, puis, sans aucun regret, la tartine de beurre et de miel pour la tendre à l’enfant qui sourit à présent.
Le boulanger, ému, sort son mouchoir pour y cacher ses larmes et son grand cœur.
Mon boulanger, Marcel, et sa femme, Marinette, sont de bien bonnes gens.
Dans leur demeure, ils ont accueilli le petit orphelin.
« Tu seras notre enfant »: lui ont-ils dit.
Le boulanger lui a appris le métier, comme commis, mais aussi de père en fils, avec amour et bienveillance.
On ne parlera jamais plus du pain parfait.
Pourtant, tous les soirs, à mon village, dans chaque chaumière, autour de la cheminée, chacun de raconter et de reraconter la si belle histoire du boulanger, celui qui avait su partager le pain de l’amour.

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